Les actifs tokenisés explosent… et la transmission intergénérationnelle pose problème
La tokenisation permet désormais d’acheter une part d’immobilier comme on achèterait une chanson : des actifs réels (immeubles, œuvres d’art, parts de société) sont transformés en jetons numériques sur une blockchain. Cette promesse d’inclusion financière est séduisante — mais un détail crucial est souvent négligé : qu’advient-il de ces actifs quand leur propriétaire décède ?
1. Le risque majeur : perdre la clé, c’est perdre tout
Dans l’univers Web3, la propriété d’un actif numérique est liée à la possession d’une clé privée. Si cette clé est perdue, oublié, détruite ou jamais partagée, il n’existe pas de “notaire” blockchain pour redonner l’accès : les actifs sont tout simplement inaccessibles.
- Certains estiment qu’une partie non négligeable des crypto-actifs pourrait être perdue à jamais. Par exemple, selon Jonny Fry, jusqu’à 20 % des Bitcoins seraient potentiellement irrécupérables à cause de clés perdues. Medium
- Parmi ces actifs, des biens immobiliers tokenisés sont particulièrement concernés : sans mécanisme d’héritage natif, les héritiers peuvent faire face à des “boîtes noires” (black-box custody), des litiges de juridiction ou la perte pure et simple de la valeur. AInvest+2AiCoin+2
2. Un vide légal… mais qui commence à se combler
Heureusement, le cadre légal évolue, notamment en France :
- La loi de finances rectificative du 15 février 2025 consacre désormais les cryptomonnaies, les NFT et les autres actifs tokenisés comme des “biens meubles incorporels” transmissibles via succession. Droit & Justice
- Le décret d’application n° 2025-187 précise ce point, et une décision de la Cour de cassation (12 janvier 2025) établit que la clé privée est un moyen d’accès à l’actif, mais pas l’actif lui-même. Droit & Justice+1
- Sur le plan probatoire, l’ordonnance du 28 mars 2025 permet aux héritiers de prouver la propriété des actifs numériques par divers moyens (relevés de plateformes, traces on-chain, etc.). Droit & Justice
- Pour les wallets non custodial (où l’utilisateur contrôle lui-même ses clés), le défi reste particulièrement grand : le nouveau cadre impose bien des procédures pour les plateformes, mais ne garantit pas un accès automatique pour un héritier si la clé est perdue. Droit & Justice
3. Des solutions techniques… encore incomplètes
Plusieurs approches sont explorées pour pallier ce manque :
- Smart contracts successoraux / testament auto-exécutoire : des protocoles peuvent automatiser la transmission des clés ou des jetons selon certaines conditions (par exemple, inactivité du propriétaire). AiCoin+2AiCoin+2
- Fragmentation des clés (secret sharing) : la clé privée peut être divisée entre plusieurs personnes (héritiers), qui doivent coopérer pour la reconstituer. Cela peut se faire via des mécanismes de multisignature ou de logique “seuil” (threshold). AiCoin+1
- Clés sécurisées + oracles biométriques : certaines solutions envisagent l’usage de la biométrie ou de vérifications externes pour authentifier les bénéficiaires avant transfert. Appui Juridique+1
- Protocoles dédiés : des projets “héritage numérique” (heritage protocols) essaient de créer des couches natives dans la blockchain afin d’automatiser la succession sans dépendre d’un acteur central. AiCoin+1
4. Les limites actuelles : des “rustines”, pas une solution complète
Malgré ces développements, la situation reste fragile :
- Les solutions techniques (fragmentation, smart contracts) ne sont pas encore standardisées ni largement adoptées. coinglass
- Il existe des risques de défaillance technique : par exemple, si un fragment de clé est perdu, ou si le smart contract n’a pas été bien conçu, cela peut bloquer l’accès. AiCoin+1
- Le cadre juridique, bien que plus clair, reste nouveau : les testaments blockchain, les “pactes successoraux numériques” (notariés) sont encore peu répandus. Juridique en Ligne
- Il y a aussi des défis de conflit de lois : un smart contract sur une blockchain étrangère peut ne pas se conformer aux règles successorales d’un pays ; cela pose des questions sur la loi applicable. Appui Juridique
5. Les enjeux pour l’avenir
- Technique : développer des protocoles robustes (multi-signatures, fragmentation, oracles fiables) pour garantir que les actifs numérisés peuvent réellement être transmis après la mort du détenteur.
- Juridique : créer des mécanismes compatibles entre le droit successoral traditionnel et l’univers décentralisé de la blockchain (testaments numériques, notariat, etc.).
- Adoption : inciter les détenteurs d’actifs tokenisés à planifier leur succession (inventaire numérique, partage de clés de façon sécurisée, etc.). Des outils tels que des “coffres numériques notariaux” commencent à émerger. Droit & Justice
- Réglementation : élaborer des standards internationaux pour éviter les conflits de juridiction et garantir que l’héritage numérique fonctionne de façon prévisible et légale. Appui Juridique
Conclusion
Le Web3 révolutionne l’investissement : on peut désormais posséder une fraction d’un immeuble via un token. Mais cette liberté financière s’accompagne d’un grand risque — sans mécanisme d’héritage bien pensé, ces actifs peuvent disparaître si la clé est perdue.
Des solutions émergent (smart contracts, fragmentation, oracles), et le droit commence à s’adapter. Mais aujourd’hui, le Web3 maîtrise bien l’accès, pas encore la transmission intergénérationnelle. Si cette question n’est pas réglée, les actifs tokenisés à fort potentiel pourraient rester bloqués… pour toujours.

